Bonne soirée.
Clémence Hérout
Dans l’histoire de la création des Chevaliers de la table ronde, je vous avais laissé au moment où l’œuvre avait été choisie et la partition arrangée et transcrite par Thibault Perrine.
De leur côté, Christophe Grapperon, le directeur musical, et Pierre-André Weitz, le metteur en scène, scénographe et costumier, travaillent à la table.
(c) Pierre-André Weitz
Christophe Grapperon explique : « Je prends la partition comme un livre, et je la lis. Je fais éventuellement un retour en arrière si j’ai oublié un élément, mais je la lis comme un roman ». Ensuite, il va et vient entre le livret et la partition en essayant de préciser sa première impression, car « c’est ce que l’auditeur aura ».
Christophe Grapperon essaiera donc de continuer à se souvenir de ses premières impressions, même s’il s’en éloignera dans la suite du travail. « Je trouvais que c’était une partition échevelée. En particulier le début, qui me paraissait complètement loufoque, incroyable. Je m’exclamais à chaque fois que je tournais une page. L’œuvre me surprenais sans cesse, comme si aucun repos ne pouvait être accordé. Il faut attendre la fin de l’ouvrage pour se poser. »
(c) Pierre-André Weitz
Christophe Grapperon mène ensuite des recherches documentaires sur Les Chevaliers de la table ronde et lit des travaux de musicologues ayant écrit sur Hervé et l’œuvre, qui l’éclairent sur le contexte de la partition et l’aident à mieux la comprendre. Il échange également avec Loïc Boissier, le délégué artistique de la compagnie des Brigands, et la Fondation Bru Zane, qui a proposé l’œuvre.
La question des rôles et de la distribution des chanteurs doit par exemple être interrogée, car elle n’est pas seulement pragmatique : les choix de Hervé en la matière sont par exemple aussi révélateurs de l’écriture musicale, de la langue ou du style. Ensuite, Christophe Grapperon travaille avec Thibault Perrine sur l’orchestration et la transcription dont je vous ai expliqué les grandes lignes il y a quelques jours.
(c) Pierre-André Weitz
Pierre-André Weitz, le metteur en scène, commence de la même manière : la première chose qu’il ait faite a été de déchiffrer la partition en lisant le livret. « Dès la première lecture, j’ai beaucoup ri. Je l’ai immédiatement relue plusieurs fois et, au bout de quatre ou cinq lectures, des images me venaient en tête. »
Il passe ensuite au concret : « J’ai rapidement besoin de construire un espace : je fais des maquettes, je pense aux personnages, je dessine beaucoup. L’espace que j’imaginais correspondait d’ailleurs déjà à l’Athénée, même si le spectacle a été créé ailleurs. Je fais ensuite des marionnettes : j’invente une mise en scène avec mes petits personnages dans une boîte à chaussures qui représente l’espace créé.
Il faut du temps pour dessiner les costumes, faire des maquettes, jouer aux marionnettes, travailler une partition. Cela m’a pris un an de travail : pas un an complet à plein temps bien sûr, car je travaillais sur d’autres spectacles, mais j’y pensais tout le temps. »
(c) Pierre-André Weitz
Loïc Boissier, délégué artistique de la compagnie des Brigands, complète : « Pierre-André Weitz a créé un spectacle absolu où il n’a quasiment rien voulu déléguer : c’est son œuf de Fabergé. Parfois, des metteurs en scène envoient des mails pour demander si l’assistante a appelé le régisseur pour qu’il appelle l’administrateur pour savoir si on aurait le budget pour faire un truc qu’il n’est pas vraiment sûr de vouloir. Pierre-André Weitz, lui, t’appelle pour te dire : "j’ai fait une robe". Ce spectacle a éclos comme une boîte de Pandore »
(c) Pierre-André Weitz
Cette période de premières réflexions est aussi celle du montage financier plus précis du spectacle, qui est porté par la compagnie des Brigands et le centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane. Pour les Brigands, c’est le travail de Loïc Boissier assisté d’Élodie Marchal, en collaboration avec les équipes de Bru Zane.
Concrètement, cela consiste d’abord à évaluer le budget nécessaire pour monter le spectacle (coût de la fabrication des décors et costumes, masse salariale de tous les artistes et techniciens en répétition et en représentation, frais de transport et d’hébergement…). Une fois la distribution des chanteurs décidée, il faudra ensuite convaincre des salles de spectacle d’accueillir ou de coproduire le spectacle avant même qu’il ne soit créé, mais aussi solliciter des subventions ou des soutiens d’autres partenaires.
C’est ainsi que les décors ont été construits à l’Opéra de Reims et que le spectacle est une coproduction des Brigands et du Palazzetto Bru Zane bien sûr, mais aussi de l’Opéra de Bordeaux (qui a aussi accueilli la compagnie en résidence pour créer le spectacle), du Centre des Bords de Marne au Perreux, de l'Opéra de Limoges et de la Coursive à La Rochelle. Il a également reçu le soutien d’organismes comme ARCADI, la SPEDIDAM et l’ADAMI. Des salles s’étaient également engagées à accueillir le spectacle, qui s’est joué trente-cinq fois en 2015-2016.
(c) Pierre-André Weitz
Ces partenaires se sont donc engagés au vu des spectacles précédents de la compagnie des Brigands et de Pierre-André Weitz, de la renommée du travail du Palazzetto Bru Zane, mais aussi de celle des chanteurs : nous aborderons donc le choix de la distribution dans un prochain article !
Les Chevaliers de la table ronde se jouent jusqu’au 7 janvier. Demain, commencera en parallèle dans la petite salle Oh là là oui oui, créé par des membres de la compagnie des Brigands.
Clémence Hérout
L’opéra L’Île du rêve de Reynaldo Hahn d’après Pierre Loti a commencé avant-hier à l’Athénée. La semaine dernière, nous évoquions les sources d’inspiration pour le décor avec Olivier Dhénin, son metteur en scène, et Amélie Lauret, collaboratrice artistique à la scénographie.
Une fois le travail sur les images sources réalisé, il faut imaginer le décor. Pour cette étape, Olivier Dhénin insiste sur le peu de représentations existant de Tahiti au 19e siècle où se déroule L’Île du rêve, mais aussi sur le caractère inédit de cet opéra qui n’avait pas été joué en France métropolitaine depuis sa création :
« c’est compliqué de représenter un paradis perdu alors que tout le monde a une image de Tahiti aujourd’hui. Nous voulions éviter une image folklorique et rendre la mémoire de ce qu’était Tahiti à l’époque de Pierre Loti et Reynaldo Hahn — et ce d’autant plus que c’est la première fois que l’œuvre est jouée à Paris depuis sa création.
Nous pourrions proposer une interprétation complètement décalée si de nombreuses versions de L’Île du rêve avaient été données : mais il s’agit ici d’une œuvre qui a été oubliée pendant cent vingt ans, et que nous redonnons à découvrir. On lui doit un certain respect, car les spectateurs vont recevoir un opéra qui était perdu et qui reprend vie devant eux envers et contre tout. Cela fait dix ans que le directeur musical, Julien Masmondet, veut le faire.
C’est parce que nous nous sentons investis de quelque chose que nous avons plutôt opté pour une démarche un peu historique. Je me suis donc appuyé sur des documents d’époque que personne ne connaît : beaucoup croient que les Tahitiens sont habillés en paréo avec des colliers de fleurs, mais cela appartient plus à un certain imaginaire colonial.
On nous dit parfois que les décors et costumes de notre Île du rêve sont austères, mais les gens étaient habillés comme ça. Quand on regarde les photos de la création de L’Île du rêve à l’Opéra comique à l’époque, les chanteuses ont aussi des robes noires. »
Si l’équipe a opté pour une vision historique, elle n’a pas opté pour autant pour la reconstitution littérale : le Tahiti du 19e siècle est ainsi évoqué avec des matériaux contemporains comme le plexiglas.
Pour Olivier Dhénin, « le plus difficile a été de construire le paysage : c’est un paysage lointain qui fait aussi figure de jardin d’Éden. Mais je ne voulais pas risquer le kitsch d’un jardin d’Éden et donner à voir la dimension tragique de cette histoire très dure.
Même si l’opéra s’appelle L’Île du rêve, il est très ancré dans l’histoire. Le roman de Loti dont il s’inspire est d’ailleurs très factuel : et même si Loti s’inscrit plus dans un rapport de découvreur que de colonisateur, la dimension coloniale ne pouvait être évitée. Cette dénomination d’Île du rêve est en fait un piège : ce n’est pas du tout une île de rêve !».
Ce soir, c’est la première de l’opéra L’Île du rêve à l’Athénée ! Il y a une heure, j’ai retrouvé Olivier Dhénin, son metteur en scène, pour une interview en moins de trois minutes diffusée en direct sur les réseaux sociaux Périscope et Facebook live.
Je lui ai demandé quelle était la première pièce qu’il ait vue à l’Athénée, ce qu’il allait faire d’ici la première et d’où il allait regarder la représentation.
C’est à retrouver ici :
Cliquez ici si vous ne voyez pas la vidéo.
L’Île du rêve se joue jusqu’à dimanche !
Clémence Hérout